Qu’appelle-t-on le syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF) ?
Dr Philippe Arvers – Il s’agit d’une intoxication de l’embryon et du fœtus suite à l’alcoolisation de la mère. L’alcool passe dans le sang maternel, puis dans celui du fœtus qui n’a pas les enzymes nécessaires pour le dégrader : l’alcool est métabolisé 2 à 3 fois plus lentement par le fœtus que par la mère ! Cette alcoolisation peut avoir des effets dévastateurs sur le développement du bébé à naître, qui se révèlent à plus ou moins long terme.
En sait-on plus sur l’apparition de ce syndrome ?
P. A. – Une étude parue début juin révèle que des malformations, essentiellement au niveau du visage, peuvent être décelées à l’âge de 1 an, alors qu’elles étaient passées inaperçues à la naissance (1). Cela augmente donc encore le nombre d’enfants touchés par le SAF. Et ces travaux confirment qu’avec moins de 7 verres par semaine et moins de 2 verres par jour, l’enfant à naître court un gros risque, surtout si la consommation a eu lieu au premier trimestre.
Quelles sont les conséquences de cette alcoolisation sur le fœtus ?
P. A. – Elles sont nombreuses : atteinte du système nerveux central et du cerveau, malformations des os et des organes (cœur, reins, organes génitaux), malformations physiques (dysmorphie cranio-faciale avec fentes palatines notamment, membres absents, doigts soudés les uns aux autres…), troubles de la vision ou de l’audition, faible poids de naissance ou retard de croissance, troubles du développement neurologique (perte de QI, retard mental), troubles du comportement (troubles de l’attention, difficultés d’apprentissage, etc.), problèmes de mémoire, dyslexie…
Ils semblent que les filles soient plus touchées
P. A. – C’est ce que tend à montrer une étude américaine, à savoir que les filles sont particulièrement touchées par ces malformations physiques et troubles cognitifs, avec une baisse du quotient intellectuel et des difficultés dans les tâches de mémorisation (2). Face au SAF, les garçons, eux, sont plus nombreux à mourir avant la naissance. Cela étant, l’étude n’explique pas encore cette différence entre les deux sexes.
Plus de 20 % des femmes enceintes continuent à boire. Pourquoi le message a-t-il tant de mal à passer ?
P. A. – Un ou deux verres, cela semble peu et pourtant… Tant que l’abstinence durant la grossesse n’est pas obligatoire, cela reste soumis à la bonne volonté de chacune.
N’y a-t-il pas des carences en matière d’information ou de dépistage ?
P. A. – La formation des sages-femmes est sûrement à revoir. Le repérage précoce intervention brève (RPIB) est notamment un outil qu’il serait intéressant de rendre obligatoire. Les sages-femmes sont le premier contact privilégié des futures mères, le RPIB permettrait d’aborder la question de manière simple. Il serait d’ailleurs bon que les médecins généralistes, les gynécologues et les pédiatres soient, eux aussi, formés à ce repérage. Aujourd’hui, chacun fait de la prévention à sa façon. Résultat, le discours est trop discordant.
Y a-t-il des inégalités régionales ou socioculturelles ?
P. A. – On pourrait le penser mais, a priori, non. En France, c’est une pathologie qui touche tous les milieux. Une étude publiée il y a trois ans montre même que plus les femmes avancent en âge et ont un niveau socioprofessionnel élevé, plus elles s’autorisent à boire de l’alcool pendant leur grossesse (3). C’est donc inversement proportionnel au niveau de compréhension des messages de prévention. Quant aux disparités régionales, il est impossible d’effectuer des comparaisons, dès lors qu’aucun registre ne fonctionne de la même manière (4).
Comment renforcer un message qui semble difficile à intégrer ?
P. A. – C’est compliqué. De toute évidence, les fascicules d’information délivrés et la Journée mondiale dédiée au SAF, le 9 septembre, ne suffisent pas. Il n’y a pas de prise de conscience, comme cela a pu être le cas pour la vache folle, par exemple. L’alcool fait partie du patrimoine culturel français, il est très difficile de se détacher de cette habitude. Du coup, on minimise le risque.
Que faudrait-il de plus pour changer les mentalités ?
P. A. – Il faudrait rendre plus repérable le logo présent sur les bouteilles d’alcool. Mais il faudrait surtout renforcer le message lors de la première consultation de grossesse. Il n’existe pas de risque zéro pour le fœtus. Même une exposition faible peut modifier le génome et, donc, avoir des conséquences. Il n’y a qu’une seule règle à suivre : quand on est enceinte, on ne boit pas, c’est tout !
Ariane Langlois (Tribune Santé)
(1) http://jamanetwork.com/journals/jamapediatrics/article-abstract/2630627
(2) www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/28624747
(3) M.-J. Saurel-Cubizolles, BEH n°16-17-18/2013
(4) Ce sont les centres d’action médico-sociale précoce (CAMSP) et les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) qui se chargent du recueil de ce type d’informations.