Il y a plus de 20 ans, une conférence avait révélé un consensus fort sur la justification, chez tout alcoolodépendant, d’une proposition systématique de sevrage complet et prolongé en l’intégrant dans une stratégie globale de soins du sujet alcoolodépendant. Celle-ci permettant d’engager le patient dans un processus de soins au long cours, dans l’espoir d’obtenir le maintien de l’abstinence. La prise en charge du syndrome de sevrage, le plus souvent réalisée au cours d’une hospitalisation, représentait la première étape du sevrage de l’alcool.
Cette prise en charge, en fonction de la gravité (troubles somatiques, psychiatriques, situations d’exclusion sociale ou co-dépendances associées), peut être faite en ambulatoire ou en milieu institutionnel. Elle peut être réalisée dans un cadre spécialisé lorsque le sevrage est l’objectif de l’hospitalisation, cependant, elle est fréquemment effectuée au cours d’une hospitalisation pour un autre problème de santé. Le risque vital encouru par le patient lors de la prise en charge de ce syndrome de sevrage conduit à la nécessité d’avoir une qualité de la prise en charge irréprochable.
Quelques explications s’imposent
Cet objectif, que de nombreux malades dépendants de l’alcool ont des difficultés à atteindre, s’explique facilement.
Tout d’abord, une alcoolisation chronique d’alcool s’accompagne d’un retentissement sur le fonctionnement de nombreux organes, comme le foie qui est chargé de transformer l’alcool (éthanol) absorbé. Une stéatose hépatique dans un premier temps et une cirrhose par la suite, peuvent être observées. L’arrêt de la consommation d’alcool permet au foie de revenir à un état normal (au stade de stéatose) et d’envisager une greffe de foie (au stade de cirrhose). Le bilan sanguin va également se régulariser : retour à la normale des transaminases et gamma-GT . L’atteinte des nerfs périphériques est fréquente, avec des polynévrites douloureuses et invalidantes : l’arrêt de la consommation d’alcool et la prise de vitamines B1, B6 et PP permettent de les traiter efficacement.
D’autre part, la dépendance alcoolique est caractérisée par une perte de contrôle : après le premier verre, le deuxième suit, puis le troisième et le quatrième… Ce critère n’est pas systématiquement retrouvé pour l’ensemble des patients, mais c’est un argument supplémentaire pour imposer l’abstinence totale et définitive.
Quels objectifs à fixer après le sevrage d’alcool ?
Si l’arrêt total de la consommation d’alcool représente l’objectif à atteindre lors du sevrage, en institution ou en ambulatoire, quels objectifs à fixer ensuite ? En effet, les patients nous expliquent que le sevrage (surtout en institution) n’est pas difficile en raison de la prise en charge médico-psycho-sociale individuelle et collective ; le plus dur, c’est à la sortie de l’hôpital : ils se retrouvent seuls face à la réalité quotidienne, une vie familiale et professionnelle à reconstruire parfois, les envies d’alcool et les flashs. Le deuil de l’alcool est parfois difficile à faire, cela peut prendre du temps. Dans certains cas, c’est l’entourage familial qui s’était habitué à ce nouveau mode de fonctionnement et avait trouvé un nouvel équilibre ; le retour du malade sevré d’alcool va remettre en question cet équilibre, et parfois cela sera une cause de rechute incitée par le comportement des proches. C’est pour cette raison que l’on propose des accompagnements pour l’entourage (conjoint, en particulier) avant, pendant et après le sevrage alcoolique.
Un suivi médical et psychologique en CSAPA est donc nécessaire, la participation à des réunions de groupes d’entraide est proposée, tout comme la reprise d’activités physiques et sportives. Parfois, un accompagnement du couple (thérapie conjugale familiale) sera proposé dans certains cas.
La reprise d’une consommation d’alcool est fréquente après un premier sevrage, et c’est une situation qui doit être abordée dès la sortie du sevrage, afin de déculpabiliser le patient. En effet, il cachera bien souvent cet écart de parcours à ses proches, à son médecin généraliste, aux membres de l’association d’entraide qu’il fréquente. Certaines sont intransigeantes face aux réalcoolisations, d’autres plus conciliantes. Récemment, l’un de mes patients osa m’avouer : « Docteur, j’ai bu une gorgée d’alcool, il y a deux semaines ; je n’ai rien dit à ma femme et aux membres de l’association xxx. Est-ce grave ? » Je lui ai expliqué qu’il ne s’agissait pas d’une rechute, mais d’un écart ponctuel, un dérapage qui ne devait pas l’effrayer et surtout ne pas le culpabiliser.
La consommation contrôlée : un objectif qui peut être tenu
Cette notion ne date pas d’aujourd’hui, même si elle reste encore d’actualité : en 1976, Pattison précisait que l’abstinence totale d’alcool n’entraînait pas systématiquement une amélioration de la santé physique, de la vie affective et des relations interpersonnelles.
Elle peut être proposée comme alternative au sevrage ou dans les suites du sevrage, après une réalcoolisation ponctuelle. Comme le précise mon collègue et ami Philippe Batel (Centre d’addictologie de la Charente ), peu de malades s'engagent dans une prise en charge. Face à l'emprise si forte de l'alcool, la perspective de l'abstinence définitive peut effrayer. «Proposer à un malade alcoolodépendant depuis des années, d'emblée et comme seul objectif, un projet d'abstinence totale et à vie est une erreur stratégique grave, qui écarte du système de soins 80 % des malades, convaincus qu'ils n'y arriveront jamais. Leur offrir l'alternative d'une réduction, c'est leur ouvrir une porte, même si ce n'est qu'une étape. Et même si l'abstinence est plus pertinente, c'est plus efficace de moins consommer que de ne rien changer».
Une revue de la littérature sur l’apport de la consommation contrôlée dans l’offre de soin de l’alcoolodépendance montre qu’une fraction (plus ou moins importante selon les études : 20-80 %) de personnes ayant une dépendance à l’alcool favorise la consommation contrôlée comme objectif de traitement plutôt que l’abstinence (Vasseur et al., 2019 ). Le patient doit rester le décideur ultime du plan de soins, le thérapeute dispose de pistes pour motiver et orienter. Lorsque le projet thérapeutique est élaboré et choisi par le patient dès le départ, le pronostic est considérablement meilleur.
Cette approche permet d’améliorer la qualité de vie, de réduire le risque de mortalité et d’améliorer la santé physique et mentale (Witkiewitz et al., 2018 ).
Une expertise collective de l’Inserm « Réduction des dommages associés à la consommation d’alcool », publiée en 2021, aborde la question et précise : « Il apparaît alors comme prioritaire de faciliter leur entrée dans les soins, avec des objectifs thérapeutiques pragmatiques en fonction de ce que le sujet est prêt à accepter. Pour ces patients, un objectif initial de réduction plutôt que d’arrêt de l’usage est donc à proposer. La réduction de la consommation a effectivement montré de nombreux avantages parmi lesquels la possibilité d’effectuer des entretiens motivationnels destinés à favoriser la motivation à des objectifs plus ambitieux, la prise en charge des comorbidités sociales, somatiques, psychiatriques et addictologiques et la réduction des risques et des dommages. Cependant, comme beaucoup de patients dépendants n’arrivent pas à maintenir durablement une consommation contrôlée, l’arrêt de l’usage reste l’objectif final à promouvoir pour ces patients. »
Vous ou l’un de vos proches a-t-il été confronté à cette situation ? Après un sevrage d’alcool, avez-vous pu reprendre une consommation occasionnelle d’alcool ? Que pensez-vous de cette évolution de la prise en charge de la maladie alcoolique ? |